Sarkozy victime de lui-même

Publié le par Marion Mourgue

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Rédigé avec Antoine Guiral et Laure Equy

«Protéger» le Président. C’est Jean-Pierre Raffarin qui l’a dit hier, en réclamant que le gouvernement et l’UMP «aident» davantage Nicolas Sarkozy. Le protéger de lui-même? Le sénateur de la Vienne n’est évidemment pas allé jusque-là, assurant même que le chef de l’Etat «ne ralentira pas». Mais si protection il doit y avoir, c’est bien que quelque chose ne tourne pas rond à l’Elysée. Alors que les sondages sont toujours à la baisse et que la cacophonie a dominé en fin de semaine dernière, retour sur un week-end, entre fébrilité manifeste au Salon de l’agriculture et bras-de-fer lourd de conséquences avec le Conseil constitutionnel.

«Casse-toi alors, pauv’con»

La perle du Salon de l’agriculture, filmée et diffusée sur le site du Parisien, a circulé allègrement sur Internet ce week-end. Lors de sa traversée éclair du salon samedi matin, en plein bain de foule, Sarkozy croise un visiteur récalcitrant qui refuse sa poignée de main. «Ah non, touche-moi pas», prévient-il. Le chef de l’Etat rétorque sans détour : «Casse-toi, alors.» «Tu me salis», embraye l’homme. Le sourire se crispe. Sarkozy lâche, desserrant à peine les dents, un raffiné «Casse-toi alors, pauv’con, va». Du plus bel effet.

Le badaud n’est pas le premier à faire les frais des écarts verbaux d’un Sarkozy qui manque de sang-froid. Chahuté en novembre, lors de sa visite aux marins pêcheurs du Guilvinec, le Président avait piqué une colère. L’oreille chauffée par les insultes, il avait pris à parti l’un des pêcheurs: «C’est toi qui as dit ça? Ben descends un peu le dire, descends un peu…» La prise de becs du Salon de l’agriculture est plus discrète mais elle trahit l’humeur présidentielle du moment. A fleur de peau.

L’avis du Conseil constitutionnel

«Stupéfiante atteinte à l’Etat de droit» pour le chef de file des députés socialistes, Jean-Marc Ayrault ; «dérive dangereuse», selon André Vallini, secrétaire national PS à la justice. Nicolas Sarkozy a ulcéré, ce week-end, les responsables de l’opposition qui l’accusent de mettre à mal la fonction présidentielle et, désormais, de faire tanguer les institutions en appuyant sur le détonateur d’une nouvelle controverse. Il faut dire que le président de la République s’est attaqué à un intouchable: les «sages» de la rue Montpensier. Au cœur de cette levée de boucliers, sa décision de demander au premier président de la Cour de cassation de plancher sur des propositions pour permettre l’application immédiate de la rétention de sûreté. Une tentative de contournement de l’avis rendu jeudi par le Conseil constitutionnel qui a donné son feu vert au principe de centres d’enfermement à vie pour les criminels dangereux, prévue dans le projet de loi Dati. Il a en revanche limité la possibilité d’appliquer cette mesure à des criminels condamnés avant la promulgation du texte.

Habilement, le président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré a préféré garder le silence, laissant nombre de voix - de Robert Badinter aux syndicats de magistrats, en passant par Dominique de Villepin qui qualifie «l’étonnante question de la rétention de sûreté» de «monstruosité sur le plan juridique» - exprimer un point de vue sur lequel il n’a rien à redire. Un silence qui entend aussi de ne pas déplacer un problème éminemment juridique sur celui de la politique, voire de la polémique. Mais il n’empêche, cette attaque directe du Président est une première qui ne passe pas.

La cacophonie des conseillers

«Tous ceux qui ne sont ni des élus ni des membres du gouvernement doivent s’astreindre à une plus grande réserve.» Qui parlait ainsi en fin de semaine dernière, dans Le Monde? Edouard Balladur.«S’exprimer, c’est un métier! On ne passe pas de l’ombre à la lumière sans éclats.» C’est qui cette fois ? Jean-Pierre Raffarin. Dans la ligne de mire des deux anciens Premiers ministres : la belle cacophonie au plus haut niveau de l’Etat, après les polémiques sur l’enseignement de la Shoah en CM2 ou plus récemment sur les sectes, «un non-problème» en France selon la conseillère de l’Elysée Emmanuelle Mignon. Dans les deux cas, le cafouillage a dominé, le chef de l’Etat comme le Premier ministre devant contredire, sur les sectes, les propos des entourages. Un désordre de plus pas franchement au goût des élus UMP à quinze jours des municipales. C’est pourtant eux que Raffarin appellent à la rescousse pour… «protéger» le Président.

Article écrit avec Antoine Guiral et Laure Equy, publié dans le quotidien 
Libération, édition du 25 février 2008. 
cf. Autres articles publiés dans la presse

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